Histoire

Histoire

Le piano-forte inspiré du clavecin, a connu une histoire riche en rebondissements, jusqu'à devenir le piano moderne que vous connaissez aujourd'hui. Celui qui fait partie de votre vie. En voici son histoire.

Lors d’un instant, cylindre relevé, vous caressez quelques touches de votre piano, puis, émane de lui une mélodie. Il y a un certain temps déjà qu’il est endormi. Le désir est fort de s’asseoir sur sa banquette pour passer un moment rien qu’avec lui. Vous entonnez quelques extraits d’œuvres que vous connaissez bien, avec des hésitations çà et là. Certains passages se sont envolés… Oubliés... Mais qu’importe ! L’émotion est grande ! Après tout, vous l’avez choisi. Son toucher et sa sonorité provoquent toujours quelques frissons en vous. Votre piano, cet instrument si merveilleux aux possibilités expressives si développées, s’adapte seul ou accompagné à tant de genres musicaux !

Du « staccato », au plus subtil legato « pianissimo », en passant par le délicat « piano » et par son contraire le « forte », les nuances sonores que vous jouez sur votre piano reposent sur plus de trois cents ans d’innovations successives. En voici une brève histoire technique.

Dans la famille des instruments à cordes et à clavier : le piano

Piano et famille d'instruments du XVe siècle : le clavecin proprement dit...

Les cordes sont au-dessus de la table d’harmonie. La vibration des cordes est transmise à celle-ci par l’intermédiaire du chevalet. L’ensemble est placé dans une caisse en forme d’aile. Le son est produit par un plectre : pointe en plume, en cuir ou parfois en métal, placée en haut d’une baguette de bois appelée sautereau, elle-même fixée perpendiculairement au bout de la touche. À chaque touche correspondent plusieurs cordes en rapport avec le nombre de registres. Généralement, il dispose d’un jeu de huit ou quatre pieds ce qui lui confère différentes intensités et colorations. Afin d’améliorer ses qualités sonores, on lui adapte rapidement deux voire trois claviers.

... Et l’épinette ou le virginal

Instruments plus petits au sein desquels les cordes sont disposées de biais ou perpendiculairement à l’instrumentiste dans une caisse rectangulaire ou trapézoïdale. 

 

Quand le piano-forte rentre en scène

Besoin d'expressivité, amélioration technique et succès manqué

L’intérêt du clavecin va atteindre son apogée dans les dernières années du XVIIe siècle. Période baroque oblige, on éprouve un besoin d’expressivité : augmentation et diminution graduelle de l’intensité du son (crescendo et decrescendo). Or, l’expressivité est tout à fait réalisable avec le chant, les instruments à cordes (à archet) et quelques instruments à vent, mais elle est impossible avec le clavicorde et le clavecin qui font partie intégrante de la vie musicale quotidienne. À la transition du XVIIe et XVIIIe siècle, les musiciens et les facteurs d’instrument travaillent à écarter cet inconvénient.

Le clavecin et le clavicorde sont constitués d’un ensemble d’harmonie similaire. La différence réside dans la production du son : le clavicorde dispose d’une tangente, petite lame métallique, fixée au bout de la touche. L’expressivité sera déjà plus développée. On peut considérer le clavicorde comme l’ancêtre direct du piano-forte. Le clavecin « roi des instruments de l’époque » avait un sérieux concurrent. Il semblerait que Jean Marius (1716) à Paris et Christoph Gottlieb Schröter (1717) à Dresde eurent des solutions pour perfectionner le clavicorde. Seule l’idée de Bartolomeo Cristofori vers 1709 verra le jour. La mise en vibration de la corde est réalisée à l’aide d’un petit marteau permettant la gradation des dynamiques. Ce nouvel instrument se nommera : « Gravecembalo col piano e forte » (clavecin à nuances douces et fortes). Quelque vingt exemplaires ont été fabriqués. Seuls, trois ont survécu jusqu’à aujourd’hui. Malgré certaines améliorations, le succès n’est pas au rendez-vous.

Perfectionnement et engouement pour le piano

La famille Silbermann perfectionne la mécanique de Cristofori en incluant un système difficilement accessible de levage partiel ou complet des étouffoirs sur les cordes. Ce système est l’ancêtre de la pédale forte. Dans les années 1730, il le présente à Jean-Sébastien Bach qui ne l’apprécie pas. Le clavier est trop lourd, les aigus trop faibles et la distorsion trop importante lors de l’attaque pour permettre des dynamiques intéressantes. La famille Silbermann continuera de perfectionner l’instrument et Bach improvisera des fugues à la demande de Frédéric II de Prusse. Cette dernière forme nombre de facteurs réputés parmi lesquels Americus Backers installé en Angleterre vers 1750, Johannes Zumpe également à Londres en 1756, Burkat Shudi, beau- père de John Broadwood et enfin Johann Andreas Stein qui transformera le système de levage manuel des étouffoirs en un mécanisme sous forme d’une ou deux genouillères. Ce système est plus aisé à actionner qu’avec la main. Il modifie l’échappement de Backers créant ainsi la fameuse mécanique viennoise. Wolfgang Amadeus Mozart en appréciera le concept.

La facture viennoise va influencer les fantaisies brillantes et la délicatesse des « lieder ». La facture anglaise se développe également à Londres. Backers est l’inventeur du pilote mobile (véritable échappement). John Broadwood et Robert Stodart vont s’en inspirer puis créer une double table d’harmonie qu’utilisera Ignace Pleyel par la suite. L’engouement pour le piano est confirmé aux alentours de 1770. Ludwig van Beethoven possédera un piano Broadwood, qu’il affectionnera particulièrement. John Broadwood ne se consacrera plus qu’à la fabrication des pianos. Ainsi, le clavecin est détrôné !

Le piano-forte continue d'évoluer et connaît toujours plus d'innovations...

Perfectionnement de l'instrument par Sébastien Erard

L’époque de la révolution ne permettait pas à la France de s’imposer en matière de facture instrumentale. Sébastien Erard choisit l’exil anglais pendant quelques années. Il perfectionnera la mécanique en ajoutant un levier supplémentaire muni d’un ressort au chevalet (ne pas confondre entre le chevalet harmonique servant à transmettre la vibration des cordes à la table d’harmonie et le chevalet mécanique, qui lui, sert de pièce maîtresse en relation directe entre la touche et le marteau) permettant une meilleure répétition. Ainsi, le pianiste n’a pas besoin de relâcher complètement la touche pour pouvoir rejouer la note. Ce système est appelé à tort « double échappement », car en réalité, lorsque l’on joue la note l’échappement ne se produit qu’une fois. Le terme de mécanique à répétition est préférable.

Cette innovation séduira les pianistes les plus virtuoses (maîtrise beaucoup plus rapide des difficultés des techniques pianistiques traditionnelles). Franz Liszt appréciera particulièrement les pianos Erard, notamment pour cet avantage. La mécanique à répétition sera améliorée par Henri Herz et deviendra le mécanisme standard des pianos à queue actuels.

Perfectionnement de l'instrument par Ignace Pleyel

À la même période Ignace Pleyel s’entoure d’excellents collaborateurs comme Jean-Henri Pape, Auguste Wolf et Gustave Lyon pour optimiser ses pianos. La firme Pleyel ouvrira une salle de concert que nous connaissons aujourd’hui. Frédéric Chopin appréciera la délicatesse de la sonorité des pianos Pleyel. Henri Pape est à l’origine des cordes en acier filé d’un trait de cuivre pour les basses. Il adoptera le croisement des cordes. On lui doit également le remplacement du cuir recouvrant le marteau par du feutre (laine de mouton, ou de lapin, très compressée) permettant une harmonisation plus raffinée.

... Jusqu'à la forme actuelle du piano moderne

Toujours plus de possibilités expressives et introduction du piano droit

Au XIXe siècle, le piano va subir de nombreux changements qui l’amèneront à sa forme actuelle. Les pianistes-compositeurs auront un besoin permanent de puissance et de possibilités expressives. La révolution industrielle permettra des études scientifiques acoustiques et mécaniques plus développées, une plus grande cadence de production ainsi qu’une grande précision d’usinage. Ces procédés tendent vers une standardisation de sonorité des instruments. Les catalogues des fabricants proposent des formes de piano réduites. Le piano carré deviendra au milieu du XIXe siècle le piano droit. Joseph Gaveau remplacera le système d’étouffoirs dit à baïonnette, demeurant inefficace, par le système dit à lames dans les pianos droits. La firme Gaveau ouvrira également une salle de concert que nous connaissons aujourd’hui. Les Américains, quant à eux, travaillent la robustesse et la puissance de l’instrument au détriment parfois de la sonorité. Alpheus Babcock à Boston brevettera le cadre en fonte moulé d’une pièce servant à accroître la tension des cordes. Peu à peu, toutes ces évolutions vont aboutir au piano actuel : le piano moderne.

Le piano se démocratise, s'optimise, se miniaturise et s'entretient

On retiendra que l’ensemble de ces innovations, aussi fascinantes soient-elles, n’aura jamais été aussi prolifique qu’au cours du XIXe siècle, comme pour tous les autres instruments de musique. Il ne faut pas perdre à l’esprit que l’évolution de l’art musical est étroitement liée à un tel modernisme technologique ! Après la Première Guerre mondiale, la production est démesurée. Le piano est touché par un phénomène de mode. En revanche, dans les années 1930, un net ralentissement de production est à noter. Les recherches semblent reprendre. La sonorité doit être enrichie, plus ample notamment pour les besoins de la musique contemporaine. Le piano doit avoir plus de prestance face aux orchestres symphoniques. Après la Seconde Guerre mondiale, le piano sera miniaturisé pour entrer dans les foyers de plus en plus petits. Le piano sera de plus en plus au service de l’amateur et non plus qu’au service des virtuoses. L’optimisation de l’instrument porte sur une plus grande fiabilité de l’ensemble des constituants qui permettra de diffuser un grand nombre de pianos à travers le monde et adaptés à tous les climats. Aujourd’hui, la production instrumentale est effectuée en Asie. Les pianos d’entrée de gamme sont fabriqués en Chine et en Indonésie, le moyen et haut de gamme au Japon et en Europe (ou en partie). Seul le très haut de gamme est toujours fabriqué en Allemagne. Les opérations de maintenance du piano et d'entretien auprès des particuliers amateurs, mais aussi auprès des professionnels sont monnaie courante.